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Mini-conférence de Marjorie Champagne

Le texte suivant a été écrit par Marjorie Champagne et prononcé dans le cadre de la soirée Entreprendre ensemble : dialogue culture-économie sociale le 16 novembre 2017 au Musée de la civilisation. 

La semaine dernière, c’était un lundi matin je pense, je faisais défiler mon fil Facebook, et puis, je suis tombée sur une toune de mon adolescence: «Killing In The Name» de Rage Against The Machine.

Cette pièce musicale, qui traite d’un événement lié à la problématique du racisme aux États-Unis se termine ainsi: «Fuck You I wont do what you tell me, Fuck you I wont do what you tell me, Fuck you I wont do what you tell me». Après les 16 répétitions du «Fuck you I wont do what you tell me», le chanteur conclu en déclamant fortement: «Motherfucker, YEAH!».

Écouter ça à 7h du matin, ça fesse dans le dash comme on dit! J’ai pris une gorgée de café, et un peu nostalgique de mon adolescence, je me suis repassée le nom du groupe dans ma tête: «Rage Against The Machine, Rage Against The Machine, Rage Against The Machine…». Et je suis allée prendre ma douche. Et comme les meilleures idées arrivent souvent sous la douche, je me suis demandée ce qui restait de ce temps où j’écoutais Rage Against The Machine. De ce temps où je me disais que je n’allais pas faire les choses comme les autres, que j’allais entretenir cette rage envers la machine en vivant une vie hors-norme, une vie faite de voyages et d’aventures!

Oh non, je n’allais surtout pas entretenir la machine capitaliste en participant au sacro-saint métro-boulot-dodo, je n’allais surtout pas devenir comme mes parents, et acheter une maison en banlieue (pour ne pas la nommer L’Ancienne-Lorette), et pour finir, je n’allais surtout, mais surtout PAS travailler dans un bureau de fonctionnaire avec des paravents. Le paravent et la maison de banlieue constituaient, pour moi, les symboles les plus forts de l’humain pris au piège par la machine.

Au secondaire, je me souviens que l’esprit de révolte était fort chez moi. À la polyvalente, en 1990, j’étais en secondaire 1, nous étions tous sortis de l’école, simplement en se passant le mot, pour manifester contre la guerre du Golfe. Nous avions marché en scandant des slogans et en traînant nos affiches fluos arborant des signes de peace géants jusqu’à la polyvalente de Neufchâtel, et ensuite à la polyvalente La Camaradière. Nous avions marché pendant 4 heures pour nous rendre jusque-là! On était fiers, on bombait le torse, les médias nous suivaient, on avait l’impression qu’on faisait une différence, qu’on faisait la bonne affaire. Et puis, vers 18h, on a commencé à avoir faim, on a pris l’autobus, et on est rentrés chez nous. Le gargouillis avait supplanté l’esprit révolutionnaire! Maman et papa nous attendaient avec une boulette de steak haché, mais aussi avec une brique pis un fanal parce qu’ils nous avaient vu aux nouvelles pis qu’on avait raté de l’école.

En 1997, au Cégep Sainte-Foy, j’étudiais en arts plastiques au fameux pavillon H qui portait par ailleurs très bien son nom. J’étais dans le comité de mobilisation pour la lutte contre la taxe à l’échec. Il me semble que c’était ça le combat. C’est là que j’ai appris qui était Mikhaïl Bakounine, théoricien de l’anarchisme, c’est aussi là que j’ai passé des tracks pour renseigner les étudiants sur l’abomination qui les attendait s’ils n’agissaient pas, s’ils ne se révoltaient pas. C’est l’époque des assemblées générales où certains avaient peur que leur session soit annulée à cause de la grève, et où d’autres, comme moi, faisaient leur éducation citoyenne et politique.

Mes goûts musicaux évoluèrent et je me tournai vers les grands classiques comme Another Brick in the Wall de Pink Floyd. C’est aussi à cette époque, et grâce au fameux comité de mob, que j’ai occupé les bureaux du Ministère de l’Éducation. La police est venue, on avait même organisé une conférence de presse pour leur faire part de nos revendications et les médias ont interviewé nos chefs. Ça commençait à devenir sérieux. Et moi je me répétais: «c’est pas vrai que je vais devenir another brick in the wall»!

En 2001, à Québec, c’était le Sommet des Amériques. Devinez quel bord j’ai pris? Je suis même allée jusqu’à accueillir chez moi des journalistes de Seattle qui avait dû se déguiser pour passer la frontière: ils étaient fichés. C’était des vrais révolutionnaires! Parmi eux, une dame d’une soixantaine d’années qui avait fait plusieurs manifestations contre la guerre du Vietnam dans le temps. Elle est vite devenue mon idole. À l’époque, j’avais été un peu surprise par son âge parce que tout ce que j’avais pour l’accueillir c’était un matelas de camping, mais c’était bien correct pour elle… je pense…

L’ambiance était donc très chaude à Québec, les hélicoptères passaient au-dessus de notre tête, on aurait dit qu’on était en guerre. J’allais manifester dès que je pouvais, et mon copain de l’époque avait même reçu une balle de caoutchouc sur l’épaule que nous avions fièrement érigé en trophée. C’était de belles années!

16 novembre 2017, toujours à Québec, me voici donc devant vous à animer une rencontre sur l’économie sociale. Aujourd’hui, je travaille sur Grande-Allée dans un bureau rempli de paravent. Oh, et j’ai aussi un condo en ville dans le Nouvo Saint-Roch, à la frontière de St-Sô. Ça c’est super bourgeois! Force est de constater que la machine m’a absorbée. Et oui, avec le temps, la rage se transforme, elle s’adoucit, et quand on est privilégié, on se rend compte des avantages que nous procure le système. On se laisse modeler, et finalement, on prend la forme que la machine a bien voulu nous donner. Au final, qu’on soit plus du type spaghetti, ravioli ou macaroni, on est tous un peu des pâtes molles.

Malgré tout, ma présence au forum sur l’économie sociale et la culture me rassure. Ça me rassure parce qu’en écoutant Rage Against The Machine il y a de ça une semaine, je me disais que toute idée révolutionnaire m’était passée, et j’étais déçue. Il y a quand même quelque chose de sain, voire même d’essentiel, dans le fait de douter du système. Il y a quand même quelque chose de juste à souhaiter l’égalité des chances. Il y a quand même quelque chose de beau à travailler pour le bien commun. Et l’économie sociale, c’est pas mal ça. Et la culture aussi, c’est pas mal ça.

L’économie sociale, c’est une structure alternative à la machine dominante qui se compare aisément à un signe de peace dessiné au crayon de feutre sur un carton fluo. L’économie sociale, c’est un signe de peace tatoué sur le coeur de ceux qui en sont les acteurs. C’est un moyen de ne pas perdre nos valeurs de vue tout en fonctionnant à même le système afin de ne pas en être exclu complètement, et ainsi devenir complètement invisible ou dans l’incapacité d’agir pour changer les choses.

Avec l’art c’est la même chose. Quand on est artiste, en général, on ne pense pas profit en premier, on pense à faire du sens. On tente de décoder le coeur, on tente de décoder la tête, on tente de comprendre l’humain et le monde qui l’entoure. Souvent l’artiste s’insurge contre la machine, s’enrage et créé des spectacles qui en parle. Je pense notamment à la pièce de théâtre «Fuck Toute» de Catherine Dorion et Mathieu Campagna ou plus concrètement à l’exposition 25X la Révolte conçue par le documentariste Hugo Latulippe. Je pense à un regroupement d’humoristes récemment formé pour fonder un nouveau Festival du rire de Montréal…

Selon moi, l’objet artistique n’a même pas besoin de tenir un propos politique pour être engagé: le seul fait de faire de l’art aujourd’hui est tellement anticonformiste que c’est engagé. Parce que lorsqu’on est un artiste, on ne peut souvent même pas se permettre de penser hypothèque, REER, compte épargne et fond de retraite. On est obligé de vivre au présent et de ne pas trop penser au futur parce que ça fait peur.

La rage au coeur, et le coeur au ventre, continuons donc à parler du vrai sens du mot économie. Économie qui vient du grec Oikos, qui veut dire maison, et nomos, qui veut dire gérer, administrer. Dans ce mot, rien n’indique comment on doit le faire. C’est à nous de choisir le système ou la machine qui nous permettrait d’obtenir une maison plus saine, plus juste, plus belle. Et l’économie sociale, ainsi que la culture, font sans nul doute partie de ces choix.